Nouvelle : Péché de gourmandise

Publié le par Ma Cocotte


Un dimanche matin ordinaire, sans surprise. Le puissant coup de vent de la veille a chassé la pluie des derniers jours. Au lever du volet roulant, le ciel est clair, la lumière blanche et lumineuse d'un jour d'hiver. Sans surprise.

Après le rituel du café dégusté dans le lit, en silence, alors que les enfants dorment encore, elle se douche et s'habille. Ses pensées baguenaudent mais reviennent toujours au même endroit, au même sourire qui adoucit son visage et défronce ses sourcils.

Tous les dimanches matin, que ses enfants soient avec elle ou chez leur père, elle sort de l'appartement et se retrouve dans la rue. Elle y a ses repères, ses coutumes. À quelques pas de là, elle achète des légumes et des fruits frais à la petite épicerie fine. C'est plus cher, vrai mais tellement meilleur qu'au supermarché. C'est son luxe, sa fantaisie. Le dimanche, elle cuisine.

Chaque dimanche ses pas la portent à la boulangerie. Quelques devantures en amont, il y a la pâtisserie. Une vraie pâtisserie de pâtissier. Une devanture de gourmandise et de délice.

Le symbole de sa tentation.

Son péché mignon.

Sa gourmandise.

Car ce pâtissier-là n'existe que pour elle car il a une spécialité. Une spécialité dont elle raffole. Une spécialité à laquelle elle ne peut résister. Un gâteau. Unique. Savoureux. Légèreté et croquant réunis.

Le Saint-Honoré.


Elle s'arrête, le regarde, là, trônant au milieu d'invisibles pâtisseries. Rond, appétissant. Le Saint-Honoré doit être du jour même, impératif. On devine la pâte feuilletée de la base croquante et caramélisée à souhait. Les petits choux forment contraste avec leur pâte fondante et légère au palais. D'abord le caramel dont ils sont nappés craque sous la dent pour laisser la pâte s'exprimer. Et pour finir, la crème...

Légère, aérienne, juste sucrée comme il faut.

Le Saint-Honoré est le prince de la pâtisserie.

C'est alors qu'elle voit son reflet miroiter sur la devanture. Un sourire particulier, un regard d'envie, les lèvres entrouvertes... et à l'intérieur un homme figé, la dévisageant...

Elle rougit et clôt sa bouche, son regard et son cœur. A-t-il pu croire que l'objet de son désir était lui alors que son cœur ne chavire que de gourmandise ? Délicieux péché. Elle rit de son propre égarement, de sa propre gêne, sourit à l'homme bouche bée et passe son chemin.

Car ce dimanche ordinaire, ce beau dimanche d'hiver n'est pas « le » dimanche de la capitulation. Aujourd'hui elle se prive de ce délice, de ce bonheur, de ce succulent abandon...

C'est ainsi, aujourd'hui et depuis toujours. Elle se prive. Elle s'interdit le plaisir de la dégustation pour en intensifier le désir, l'envie, le besoin puis l'extase.

Déguster un Saint-Honoré ne s'improvise pas.

Il faut aller au bout de son envie, être au bord du plaisir, sentir son cœur palpiter si fort qu'il pourrait tomber, éprouver la légère sueur au-dessus des lèvres, la sécheresse de la bouche, vouloir à ne plus pouvoir exister.

Ces dimanches-là ne peuvent pas se suffire d'ordinaire. Ce sont bien au contraire des dimanches d'exception. Le cœur doit être léger, les pensées sereines et gaies. Il faut se sentir marcher bien haut au-dessus du sol.

Peu importe le temps.

S'il pleut, il faut frissonner au contact des fines gouttes de crachin qui apaisent la chaleur de l'envie...

S'il gèle, il faut juste respirer et s'enchanter du brouillard qui s'exhale de cette bouche en volutes aériennes...

Si le soleil illumine, il faut juste sourire à sa caresse sur la peau...

Légère, aérienne, quel que soit le temps, c'est ainsi qu'il faut vivre ce dimanche exceptionnel, dimanche entre tous, ultime dimanche après une si longue ascèse, une si longue privation de plaisir.


Ce dimanche-là, elle s'arrête devant la devanture. Elle le regarde, lui, le Saint-Honoré, trônant au milieu du présentoir réfrigéré, protégé du soleil par des filtres spéciaux... elle le caresse du regard, lui chuchote en pensée que bientôt il sera sien. Peu importe que ce ne soit pas vraiment lui qu'elle ramènera chez elle, mais plutôt l'un des petits Saint-Honoré qui sont juste au-dessous, répliques à l'identique du Prince.

Elle, c'est au Prince qu'elle parle, qu'elle attise, qu'elle sourit.

Enfin vient le moment d'entrer dans la pâtisserie.

Elle pousse délicatement la porte. Ce premier contact la noie d'une onde plaisir charnel.

Les parfums l'enivrent, les couleurs la séduisent. Bien sûr elle a attendu patiemment, au bord de la perdition tant ses sens sont aiguisés à l'extrême, oui, dans un dernier effort palpitant, elle a attendu que l'officine se vide.

La pâtisserie pour elle seule.

Les tablettes de chocolat maison lui font de l'œil. Les macarons semblent se trémousser, les meringues danser dans le vent, les mignardises, les gourmandises... où donner de la tête ? Où poser le regard pour ne pas sombrer dans l'ivresse ?

L'épouse du pâtissier la sauve. Depuis qu'un jour elle papotèrent et partagèrent leur commun péché mignon, elles se passent de bonjour. La blonde comprend la brune. Elle sait. Elle ne dit mot. Juste, elle prend son plateau d'argent finement ciselé d'arabesques. Y pose un napperon de papier blanc aux dentelles éphémères. Délicatement, sans hâte, en sourire de connivence. Elle se dirige vers l'armoire aux pâtisseries, son corps chaloupant. Elle sait. Elle partage ce moment d'indicible extase avec la brune. Au passage elle prend avec délicatesse la pince à gâteux.

Lentement, ses pas la posent là où il se doit.

La pince à gâteaux semble voltiger avec tendresse au-dessus des petits Saint-Honoré. Elle semble hésiter. La blonde ne regarde même pas la brune cliente.

La pince à gâteaux continue sa voltige délicate jusqu'à ce que la brune, dans un souffle écourté par le désir, chuchote :

« Là... celui-là.. »

La main de la blonde s'arrête net.

L'objet de tant de désirs et de plaisirs à venir est délicatement saisi. Pas question d'abimer la pâte feuilletée, encore moins la pâte à chou. Pas question de fêler le caramel parfait, d'écorcher la crème si particulière est légère.

L'opération est délicate. La blonde mord délicatement sa lèvre inférieure, le dessus de sa bouche s'emperle, le nez se plisse sous l'effort de concentration. Elle sait le moment délicat, susceptible, en cas d'échec, de briser la magie de l'instant,

Enfin le petit Saint-Honoré trône sur le plateau d'argent. Enfin il est posé dans un petit carton. La blonde se munit de ciseaux et supprime le couvercle. La brune pose le nombre exact de pièces sur le comptoir.

Elle reçoit des mains de la blonde le précieux Graal...

Sourire d'espoir, d'attente et de plaisir partagé de deux femmes atteintes d'une même gourmandise.

La brune sort du magasin alors que la blonde soupire d'aise...

Ces dimanche-là, elle rentre directement chez elle. Pas de fruits, pas de légumes, pas de journal.

Juste elle et l'objet de son plaisir.



Texte inspiré par l'article « La honteuserie du samedi » des Carnets de Mu...


Publié dans Nouvelles

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
L
Tu m'as régalée, quelle poésie!
Répondre
M
<br /> tout est poésie...<br /> <br /> <br />
M
Mmmmmmm ! je salive.Mais de là à troquer (croquer ?) ton saint honoré contre mes leonidas : JAMAIS DE LA VIE !:-D
Répondre
M
<br /> :D<br /> Alors ça roule, je te laisse tes chocolats et je garde mon saint honoré ;)<br /> <br /> <br />
Q
Eh bien... tu m'as fait saliver !!!!!... c'est malin... En plus j'adore les St Honoré ! MMMMMMMMmmmmmumm...Je le sens, je le vois d'ici... tant pis pour toi, je le happe et je me sauve.Tu cours vite ????
Répondre
M
<br /> Euh... bin nan...<br /> Bon, le mieux, je t'offre celui-là :D et je retourne dans la pâtisserie !!!!!!!!!!!!!!<br /> <br /> <br />