Nouvelle : C'est par où ???
Depuis qu'ils sont partis ce matin, c'est le joyeux bazar dans la voiture. Enfin... depuis qu'il fait jour, pour être précis. Pour la première fois depuis le divorce, cette mère et ses deux enfants partent au loin. Très loin. 800 kilomètres pour aller passer une semaine chez la sœur de la mère, donc, partant, la tante des enfants. Les préparatifs durent depuis bien longtemps. Pour pallier le manque de sens pratique, de sens de l'orientation, pour pallier les angoisses, la peur de se perdre de la mère, ils sont allés choisir tous les trois un GPS au très grand magasin. Ce GPS porte un prénom car il le mérite, c'est l'allié précieux qui leur permettra d'arriver à bon port, il s'appelle « Paulette ». Paulette fait l'admiration des trois occupants de la voiture. Paulette sait tout, connaît chaque lieu-dit, chaque petite route et toutes les autoroutes. Paulette montre aussi les pompes à essence et certains lieux ou bâtiments touristiques. Donc, jusque là... tout va bien... Quasiment arrivés à l'ultime but, les trois commencent tout de même à ressentir la fatigue d'un si long voyage. La mère ferait bien la sieste mais bon... elle est tellement heureuse de s'en sortir aussi facilement que cela la porte. Elle a surmonté ses peurs et réalisé un périple dont elle ne se serait jamais crue capable. 800 km... c'est énorme. Une dernière grosse ville à traverser et ça y est, ils y sont presque.
Paulette les entraîne vers le périphérique, tranquillement. D'avoir Paulette rend sereine la conductrice. De fait, n'ayant pas à se concentrer pour ne pas rater un panneau, elle se repère mieux. Des travaux sont annoncés par un camion sur le bas-côté. Les enfants le trouvent « rigolo » à clignoter comme un sapin de Noël.
« A 800 m., prenez la sortie à droite. »
« Ah bin nan, Paulette, on peut pas, la sortie elle est fermée. C'était écrit sur le panneau du camion.
- Ne t'inquiète pas, chérie, Paulette va tenir compte de ça et calculer un nouvel itinéraire. On ne risque pas de se perdre avec elle.
- Ah bin oui, c'est vrai, ça. »
Tous les trois rassurés, la mère continue sa route et dépasse la sortie fermée. Paulette, comme prévu, calcule un nouvel itinéraire.
« A 800 m. prenez la sortie à droite. »
« C'est quand même bizarre, avec tous ces travaux, y a plus de panneaux. Regardez, cette sortie est aussi en travaux, même si on peut y aller mais y a pas de panneaux. »
L'angoisse survient avec cette anomalie. Ils sont proches d'une frontière et les seuls panneaux qu'ils croisent sont en langue étrangère. Ils essaient de lier les mots à des noms de villes français mais en vain. Pourtant, par sécurité, ils ont emmené leur Atlas routier format papier. Prévoyants... Pour l'instant, ils suivent docilement Paulette qui les emmène de-ci, de-là, à gauche, à droite, dans de petits villages charmants... puis sur une quatre voies.
« Tiens, c'est bizarre, ça... on n'est pas déjà passés par ici ??? »
De fait, si, les enfants éclatent de rire et bientôt ils dépassent à nouveau le camion de signalisation.
« A 800 m. prenez la sortie à droite. »
Tout le monde rit dans la voiture. La sortie fermée est ignorée. Ils décident alors d'ignorer la seconde sortie et de laisser Paulette calculer un nouvel itinéraire.
« Si possible, dans 400 mètres, veuillez faire demi-tour. »
« Ah non, Paulette, ça va pas être possib', ça, on roule pas à contre sens sur une quatre voies... »
La mère, encore assez à l'aise, éclate de rire. Ils ne font pas demi-tour et bientôt Paulette calcule un nouvel itinéraire, les entraîne sur de petites routes, leur fait traverser de charmants villages...
« Dis m'man, on est pas déjà passé ici ??? »
… pour leur faire rejoindre la quatre voies... le camion de signalisation... la sortie fermée... deux sorties ignorées... la troisième, beaucoup plus loin que les deux autres... et Paulette calcule un nouvel itinéraire. Le silence s'installe. Tout le monde guette les panneaux, l'aspect des petites routes devenues sinueuses et fatigantes, des petits villages soudain tous pareils, tous ternes, tous moches. La fatigue s'accroit. Le stress est quasi palpable quand ils s'en reviennent à leur point d'origine, la quatre voies et bientôt son camion de signalisation.
« Mais c'est pas Dieu possible !!!!!!!!!! Mais c'est par où ce bled ??? et pourquoi y a pas de panneaux ???? »
La mère craque. Les enfants se taisent. Ça fait une heure et demie qu'ils tournent en rond. Impossible d'ignorer une nouvelle sortie, après c'est l'autoroute. La mère, dans un silence lourd et épais, prend la seconde sortie et s'arrête dans un village. La déception, l'amertume de l'échec quand elle essaie de s'en sortir avec l'atlas routier. C'est du chinois pour elle et il date un peu, l'atlas. La quatre voies n'est pas indiquée. Elle arrête un passant. Elle ne comprend qu'un mot sur deux, ses explications sont emberlificotées, complexes... les deux mains sur le volant, des larmes de dépit dans les yeux, la mère finit par lâcher.
« A une demie-heure de l'arrivée. On est à une demie-heure...
- C'est pas grave m'man, on va s'en sortir, on va y arriver. On a été super, non ?
- Oui mon poussin. Bon bin... je vais appeler ma sœur pour qu'elle vienne nous chercher. »
Plus tard elle en rira. Oui. Mais là, c'est comme un goût de fiel. Une colère sourde de ne pas avoir réussi à atteindre son but. Elle téléphone à sa sœur qui va venir les chercher.
« Dis m'man, c'est comme la vieille série, là, qu'on a emprunté à la Médiathèque, tu sais ? Les dvd de la série « La 4e dimension ». Vise qu'on soit dans un monde parallèle ???? Ouah, c'est trop de la balle, ça...
- Oui, m'man... surenchérit la grande soeur. En fait ils sont là les panneaux, dans la vraie dimension, mais nous on y est pas.
- La quatrième dimension ??? Oui... va pour la quatrième dimension... »
Écrit pour le « Thème de la semaine » des Impromptus littéraires selon la consigne suivante :
Après tant de circonvolutions autour de la rondeur de vos jours, nous nous trouvons maintenant tout étourdis ! Perdus que nous sommes, nous nous demandons donc : C'est par où ? Une petite contrainte supplémentaire à vos écrits : vous devrez nous montrer la route en utilisant obligatoirement 2 des 5 mots suivants écrits dans leur orthographe normale au singulier ou au pluriel : azimut, vecteur, but, contresens, déraison.
(c) Coquecigrues-billevesées. Si vous souhaitez copier ce texte, contactez-moi par commentaire, merci (ou au moins citez mon blog :)).