Abstention : pour, contre ou pas ?
"L’abstentionniste, ce soumis, ce nouveau riche" par Catnatt sur izine.net
(http://izine.net/2011/01/e-labstentionniste-ce-soumis-ce-nouveau-riche-e/)
J’ai lu cet excellent article d’une traite, puis relu, et relu encore. Ca m'a rappelé un texte que j'avais laissé en brouillon. Du coup je l'ai repris et réécrit.
Jusqu’à ces dernières années, j’étais d’accord pour partager l’avis de Catnatt – et d’autres, quelles que soient leurs préférences politiques – pour dire à l’unisson que s’abstenir, c’est laisser les autres décider pour nous, « laisser les clés de sa vie à de parfaits inconnus » (Catnatt).
Tout d’abord, je suis très attachée au droit de vote. Je suis consciente du privilège que nous avons de vivre en démocratie. J’ai plus de mal à respecter le résultat des urnes, parfois.
L’analyse de Dominique Reynie sur les deux types d’abstentionnistes correspondait à ma vision des choses : « l’abstentionnisme de l’indifférence, de la méfiance, et l’abstentionnisme contestataire. »
http://memscpobdx.pagesperso-orange.fr/memoires/QPS/abstentionnisme%E9lectoral.html
Depuis, ma pensée a évolué. Je reste convaincue qu’il faut voter, envers et contre tout, parce que la démocratie est un privilège qui ne s’acquiert jamais dans le rose bonbon mais plutôt dans le rouge sang. Nous n’avons qu’à regarder en Tunisie et aussi maintenant en Egypte où le peuple a soif de liberté d’expression et de choix. Faire un choix. Ceux qui sont là-bas dans la rue, face aux forces de l’ordre, ne se battent pas pour éviter de perdre un énième privilège de confort, mais pour avoir juste le droit de parler librement à voix haute et pouvoir faire des choix.
Comme une partie des Français, je ne vote pas de la même façon en fonction des scrutins. Le prochain est un mandat présidentiel.
En 1981, j’avais 13 ans. J’ai assisté à l’avènement de la gauche, pour la première fois au pouvoir. En 1986, j’ai eu 18 ans et le droit de vote. Ma conscience politique était déjà très aiguisée. Je militais auprès des jeunes pour qu’ils votent. A partir de 1988, j’ai commencé à voter différemment au premier et au second tour. Au premier, le vote du cœur, tendance écolo ; au second, le vote utile, plutôt à gauche, je ne le cache pas. Ensuite, quand apparaîtra le mouvement altermondialiste, il aura toujours ma préférence au 1er tour.
Le second tour.
En 1995, comme depuis plusieurs années, l’expérience venant, je ne faisais déjà plus confiance aux caciques de la politique, gauche ou droite confondues. La gauche était le moindre mal et au moins, le côté "assurer une certaine protection sociale aux plus démunis", me consolait un peu. Appartenant à la classe moyenne, je paie de toutes parts mais je me disais : « allez… l’argent sert à aider ceux qui n’ont pas ce que je possède. »
Jospin a perdu, Chirac est passé. J’avais voté, je pouvais exprimer mon désaccord en toute liberté de conscience. J'acceptais la volonté des urnes mais je pouvais m'exprimer. Autour de moi, il y avait des abstentionnistes. Beaucoup par découragement, par perte de « foi » ou de conviction ou pour dire « y en a marre », ceux-là restaient chez eux. Et puis ceux qui votaient pour dire stop, les contestataires, ceux qui votaient pour le Front national. Quand je leur disais qu’ils jouaient là un jeu dangereux, qu’à se moquer ainsi de la démocratie, peut-être bien qu’un jour la démocratie finirait par leur en mettre une au travers de la face, ceux-là me répondaient : « Tant qu’il y aura des gens comme toi, le FN ne passera jamais. En attendant, ça donne une bonne leçon aux autres. »
Taratata. Aucune leçon n’a été donnée. Aucun des partis concernés n’a appris de cette partie-là de la population. Au contraire, au fil des ans, le Front national s’est taillé un costume de pseudo respectabilité.
Et puis est arrivé 2002.
2002 : Chirac / Le Pen.
Traumatisme franchouillard. Les contestataires pris à leur propre piège. A force de penser que les votants utiles seraient assez nombreux pour éviter ça, Le Pen est arrivé en haut de l’affiche.
Qu’avons-nous fait, nous les Français plutôt à gauche, et à gauche toute, à la conscience politique aiguisée, conscient du désastre que pourrait représenter l’élection de ce monsieur-là à la Présidence ?
Nous avons voté pire qu’utile : nous avons voté à droite. Nous avons exprimé notre droit de vote à l’encontre de nos idées. Pendant tout un septennat, j’ai donné les clés de ma maison à un homme qui défend des idées à l’opposé de celles auxquelles je crois, tout ça parce que des Français avaient décidé de donner une leçon aux forces politiques classiques. Pire, je les ai données à un menteur, à un homme qui avait assuré qu'il serait le "Président de tous les Français", conscient que son score historique n'était dû qu'à la personnalité de son concurrent. Je me suis sentie flouée. Pourtant, je savais que Jacques Chirac avait prononcé cette terrible phrase : "les promesses n'engagent que ceux qui y croient" ou les reçoivent, je ne sais plus.
2007 est arrivé.
1er tour, je vote selon mon cœur, comme d’habitude, pas de problème.
2e tour, Nicolas Sarkozy contre Ségolène Royal.
Comme je suis plutôt à gauche, pas de problème de conscience, me direz-vous. Suffit de voter pour Madame Royal. Sauf qu’elle représente tout sauf la gauche, à mon avis. On ne porte pas les idées de gauche comme on porte un collier de perles – des vraies, pas des en plastiques – en sautoir. On ne doit pas porter les idées de gauche en faisant son one-man-show comme une vedette du rire, non. On ne doit pas profiter pour arriver, non.
Franchement, je n’avais vraiment, mais vraiment pas envie de voter à gauche.
La troisième voie s’est présentée à moi, l’abstentionnisme. Pourquoi devrais-je me faire voler mon vote comme c’est déjà arrivé en 1995 ? Parce que oui, en 1995, je n’ai pas voté librement. J’ai voté pour des idées auxquelles je n’adhère pas pour éviter que le souhait d’un pourcentage certain de Français ne se réalise.
En 2007, j’ai fini par voter quand même utile, parce que bon, elle est de gauche et je ne cache pas non plus que je suis plutôt de gauche, malgré tout.
Demain, c’est 2012. Si l’on écoute les Français, ceux du coin de la rue, ceux du troquet au bout de la rue, ceux du marché au bout du coin de la rue, ces Français-là ils en ont marre. « On » leur dit que les prix n’ont pas augmenté « depuis l’euro » et ils pensent fermement qu’ « on » les prend pour des cons ; les chefs des PME croulent sous les taxes en tous genres, les artisans aussi, les petits commerçants. C’est simple, tout ce qui est petit disparaît. Les gens ont mal à leur frigo, à leur porte-feuille, et ça, c’est quand ils en ont. Ils ne font plus confiance à la droite ni à la gauche.
Nico est devenu Sarko… c’est vous dire.
Pendant ce temps-là, Marine remplace Jean-Marie et tout d’un coup, le FN devient de moins en moins, en apparence, dangereux. La population, elle, focalise sur l’euro comme cause de tous les mots, et puis y en a marre aussi de toutes ces banques.
Ecoutez la rue : « Ils nous foutent dans la crise, Sarko leur donne des milliards et en quoi … deux ans ? la valse des primes aux traders recommence de plus belle et c’est reparti !!! et pendant ce temps-là, c’est nous qu’on paye. »
Je peux vous donner d’autres versions de ce laïus, façon Queneau, si vous voulez. Je l’ai entendu dans la bouche du prof, de l’entrepreneur, de l’ouvrier d’usine, du commerçant et de bien d’autres encore.
Sortir la France de l’Euro : voilà l’idée force qui risque de faire remonter le Front national sur le podium, à tort ou à raison.
Alors 2012.
Que vais-je faire en 2012 si sur le podium se retrouvent face à face, au second tour, Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen ?
Est-ce que je vais, une nouvelle fois, donner les clés de ma maison à un homme qui va saccager mon petit carré de bonheur où je plante mes tomates bio ? Est-ce que, pendant un quinquennat entier, je vais devoir subir toutes ses décisions sans pouvoir rien dire puisque j’aurai voté pour lui ? Est-ce que je vais devoir plier le cou en ravalant l’amertume du camouflet à chaque nouvelle loi qui permettra aux gendarmes d’aller arrêter des enfants en classe de primaire, ou bien laisser d’autres enfants dormir sous les ponts, ou bien toute autre chose qui me dégoûte ?
La tentation de l’abstentionnisme est grande.
Très grande.
En votant blanc, je ne laisserai pas quelqu’un décider pour moi, dans ce cas de figure-là.
Droite contre extrême-droite… la France aura choisi la droite, donc qu’est-ce que j’en ai à faire ? Je ne suis pas de droite. Ce n’est pas un choix, ça.
Dans ce cas-là, c’est, dans mon cas, accepter justement le jeu de la démocratie de voter blanc.
Si au 2e tour nous avons Nicolas Sarkozy contre Marine Le Pen, ce sera un duel choisi par la majorité des Français, dont je ne fais pas partie.
Pourquoi après devrais-je être obligée de choisir entre Charybde et Scylla ?
Mais voyons, me direz-vous, c'est simple, tu n'as qu'à voter utile dès le premier tour ! Ah mais non, ce n'est pas la démocratie, ça. La démocratie, c'est de pouvoir choisir librement, sans contrainte, sans pression externe, le candidat qui représente au mieux nos idées. C'est pour cela que l'isoloir est un des piliers de la démocratie, afin que nous puissions tous exprimer notre choix librement.
Si je ne peux pas librement choisir au premier tour, si je dois voter utile pour éviter que le choix d'un très grand nombre de Français soit concrétisé, est-ce que c'est ça la démocratie ?
Au final, je ne sais toujours pas ce que je ferai, ni au premier ni au second tour et je crois bien que je ne suis pas la seule à penser ainsi.