Nouvelle : La lettre noire

Publié le par Ma Cocotte

Ecrit pour « Les Equipières » (http://lequipedechoc.over-blog.com/)

 

Thème : La lettre noire. Ecrire une lettre de mépris, de haine et sa réponse…

 

« Paris, le mercredi 7 mai 2008.

 

L’orage a éclaté alors qu’on était sur msn. Ce que tu me disais m’a mise tellement en colère.

Mais comment ont-ils pu ???

Argh, j’en ai oublié d’éteindre le PC et il m’a claqué dans les doigts. Alors je prends la plume. Tellement longtemps que je n’avais pas écrit de lettre.

Bon, ne te laisse pas faire !!! Tu ne dois pas céder. C’est pas à 30 ans qu’on cède. Accroche-toi. Je n’en peux plus de rage. Si tu savais comme je les vomis. Oui, je suis conne, je sais que tu sais.

Comment peuvent-ils oser réclamer à voir ta petite, qui est ma nièce ??? T’es pas seul, je suis là. Purée, j’ai envie de prendre ma caisse et d’aller lui éclater la tronche. Mais pourquoi il est encore en vie ? Hein ? Pourquoi ? Pourquoi ce salaud respire encore avec tout le mal qu’il a fait. Et elle, avec ses airs de victime innocente qui subit alors qu’elle vaut autant que lui, qu’elle mérite la palme de la manipulation, du chantage affectif, saleté d’araignée qui tisse sa toile.

Purée ça soulage. Il faut que ça sorte sinon ma colère va m’étouffer. Je les vomis et je ne veux pas m’étouffer avec.

T’inquiètes pas, on ne va pas se laisser faire. On va leur faire un procès et on dira tout. Moi je vais tout balancer. De toutes façons, j’en peux plus. C’est pas juste qu’il vive encore, qu’il ne lui soit jamais rien arrivé. Non, c’est pas juste. Et personne qui fait rien, qui fait jamais rien. Et tous ces gens qui te disent quand tu frôles le sujet du bout des lèvres : « Heureusement aujourd’hui, ça a changé. »  Mon cul !!!! Rien n’a changé. L’autre jour, j’étais en ville, j’ai vu un père donner des coups de pieds au cul de son fils en lui hurlant dessus des insanités. En face, une terrasse de café. Derrière le père, la petite sœur pleurait. A la terrasse, ils n’ont pas levé le petit doigt. Tous des lâches qui refusent de voir. Tous des aveugles que la cécité arrangent. Je voyais leurs regards dire : « Après tout, c’est sûrement un sale gosse, si ça se trouve, il la mérite, sa correction. »

Bin, voyons. J’y suis allée, moi. J’ai brandi mon téléphone portable et j’ai hurlé : « Tu touches encore à ce gosse et j’appelle les flics. T’entends ? Et s’il te plaît, vas-y, défoule-toi sur moi, vas-y, frappe-moi comme ça je te ferai mettre en taule et tes enfants seront débarrassés de leur pourriture de père. » Il a nié. Gêné. Oui. Gêné. Il a tenté la colère mais bizarre, il n’a pas insisté.

Je me suis calmée. C’en est un, tu sais. Il s’est oublié mais dès qu’il a compris qu’il y avait des yeux sur lui, il est devenu gentil, trop gentil… il a pris ses enfants à partie pour qu’ils disculpent leur père. J’ai dit aux petits où je travaille. Y a plein d’enfants qui viennent là. Je leur ai dit, en regardant leur père droit dans les yeux, que maintenant je savais et que s’ils venaient me voir, moi, je les croirais et moi, je ferai quelque chose pour eux.

Je les hais, je les vomis. Je n’ai plus peur, tu sais. Ce ne sont pas des parents, rien que des bourreaux. Jamais je n’aurai d’enfant. Jamais. Je t’admire, tu sais, d’avoir ce courage-là. Je suis sûre que je suis comme lui et que du jour au lendemain, je peux basculer dans le monde des bourreaux. Quand je pense que son sang coule dans mes veines, je voudrais mourir. Jamais je n’aurai de gosses. Jamais. Plutôt crever.

Y a pas de justice en ce monde. Non. Je n’ose pas imaginer le nombre de bourreaux d’enfants qui s’en sortent sans que personne ne dise rien. Personne ne fait rien. Combien en ce moment même pleurent ? Dis ?

Ne t’inquiète pas. Ce papier de leur avocat, ça ne fait rien. Ils ne peuvent pas réclamer l’exercice de leurs droits grands-parentaux. On ne va pas laisser faire ça. J’ai tellement la haine. Je voudrais vraiment le voir crever. Je te jure, je n’habiterais pas si loin, je monterais et je lui ferais son affaire. Je voudrais qu’il souffre autant qu’on a souffert. Vrai, je boirai le champagne le jour où ils seront morts, ces deux-là.

Bon, faut que je retourne au boulot. A bientôt. Je t’embrasse très fort. Je suis tellement heureuse de t’avoir retrouvé. »

 

« Marseille, le mercredi 14 mai 2008.

 

Ma chère sœur,

Ta lettre m’a laissée dans le plus grand des embarras. Encore une fois, malgré tous mes conseils, ta nature exaltée t’entraîne bien loin des rivages de la raison. Le passé est le passé. Tu n’y pourras rien changer. Cette façon aussi que tu as de tout dramatiser. Regarde, nous avons aujourd’hui tous les deux réussi. Toi, évidemment, à ta façon mais tu as réussi. Une situation stable, un salaire tous les mois. C’est une grande chance, tu sais. Bien sûr, tu es restée rêveuse, bohême et je ne peux t’en tenir rigueur. Il faut toujours que tu extériorises, que tu scénarises ta vie. C’est ainsi.

Pour ma part, j’ai construit la mienne loin de tout cela. Je ne veux plus en entendre parler. De plus, nul ici n’est au courant de notre histoire. Histoire somme toute banale, au demeurant. Allez… nous ne sommes pas les seuls à avoir entendu crier à la maison. Certes, la politesse n’était pas de mise. D’ailleurs, à ce propos, je qualifierais de « plus que grossière » ta façon de t’exprimer dans ce courrier. J’espère que tu n’es pas coutumière de cela.

Si j’ai repris contact après tant d’année, ce n’est pas, comme tu semblais le croire sur MSN avant que notre conversation ne s’interrompe brutalement, ce n’est pas pour renouer des liens familiaux. Ma famille est ici, loin de vous tous, avec mon épouse et ma fille.

Je souhaitais juste t’informer que j’avais fait le nécessaire d’un point de vue juridique. Je prends tous les frais à ma charge. Même si tu as une situation correcte, cela représente une très grosse somme d’argent. C’est préférable ainsi. J’ai rencontré les personnes qu’il faut, ne t’inquiète pas. Ils n’auront aucun droit sur mon enfant. Tout est sous contrôle.

En revanche, tu m’inquiètes. Tu devrais peut-être songer à suivre une thérapie. Cette obsession que tu as de ton enfance, qui, j’aimerais que tu finisses par l’accepter, ne fut pas si terrible, quoi que tu en dises. Tu devrais faire comme moi, oublier tout cela et travailler dur pour protéger tes futurs enfants des soucis matériels.

Quant à venir nous rendre visite, je ne crois pas que ce soit une très bonne idée. Cela t’occasionnerait une dépense importante et inutile. De plus, nous n’avons pas de chambre d’amis et tu devrais dormir à l’hôtel. Je crains fort également que tu ne te plaises pas avec mon épouse et nos amis. Pas du tout ton style.

Voilà, je me devais de t’informer de l’évolution de la situation juridique en rapport avec les exigences un peu exagérées de nos parents. J’obtiendrai la même restriction de droits grands-parentaux envers ton éventuelle descendance. A cet effet, j’ai communiqué tes coordonnées à mes avocats et ils t’adresseront les papiers de la requête à signer. Ensuite, ils t’expédieront bien sûr tous les documents te concernant. Tu verras, il te suffira de cocher les cases, c’est très simple. Tu n’as aucun besoin d’ajouter un roman aux documents pour raconter ta vie. Ainsi, tu me rendrais service.

En te souhaitant une bonne continuation dans ta vie, mon épouse t’adresse également le même souhait,

Cordialement,

Ton frère. »

 

(c) Coquecigrues-billevesées. Si vous souhaitez utiliser ce poème, contactez-moi par commentaire, merci (ou au moins citez mon blog :)).

 



La Haine cache bien souvent ce qu'elle est et se cache aussi...


(Ill. d'Annie Bouyer).

Publié dans Nouvelles sombres

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P
Une composition épistolaire touchante. Il en est tant des comme eux. Et peronnellement je préfère la colère de la soeur au déni du frère. On ne se construit pas sur du déni, au contraire, il empoisonne insidieusement. Au moins pour elle, tout est clair et impardonnable. Le frère se la joue, il ne vit pas.
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M
<br /> Ou il a choisit de vivre autrement...<br /> Mais je préfère quand même la soeur :D<br /> <br /> <br />
E
Le déni et l'indifference sont de terribles fléaux. Alors il repousse sa soeur pour qu'elle ne l'oblige pas à se souvenir de leur passé. Ma curiosité est piquée, ça mériterait une suite, non?
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M
<br /> Mmm...<br /> Si un "après" il y avait, il faudrait un "avant".<br /> Et si le pire se produisait... Que la soeur blessée se mure dans le silence, dernier cadeau offert par son frère, sans doute aussi blessé qu'elle mais différemment emmuré. Et si ce silence était la<br /> seule chose partageable... ?<br /> Ou bien une correspondance. Serait-elle possible ? La réponse du frère nie à la soeur sa propre réalité. Comment communquer dans le déni, quand le plein de l'un n'est que le vide de l'autre ?<br /> Non... Je laisse à d'autres la charge de continuer leur histoire. Je préfère les laisser ainsi, accrochés dans cet instant de leur vie. On ne saura pas qui de l'un ou de l'autre se fourvoie, on ne<br /> saura pas ce qu'ils ont vécu. Chacun y versera sa part d'ombre et de lumière...<br /> <br /> <br />
A
Si cela ne s'appelle pas monter sue ses grands chevaux, je ne m'y connais pas, tu as même galoper vite.... et une réponse quei voudrait bien remettre les choses en place.... Quelles lettres !
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M
<br /> *Sourire* Oui... il fallait qu'elle soit très en colère. Ce n'est pas facile dans une lettre, parce qu'il y a la distance entre le crayon et le papier. C'est pourquoi j'ai imaginé qu'elle<br /> poursuivait une conversation commencée sur un outil où l'on s'exprime en interactivité. On peut tout imaginer de cette conversation qui génère l'écriture "à chaud" de cette lettre...<br /> <br /> <br />
C
J'aime cette différence de ton entre les deux lettres. Cela donne quelque chose d'émouvant. Sûrement pour moi parce que ça rejoint un bout (très petit) de mon histoire : la différence de réaction entre un frère et une soeur, j'ai connu... 
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M
<br /> Ca doit être d'autant plus dur que la relation fut en symbiose...<br /> <br /> <br />
M
Hier soir, lasse, par inattention, j'ai effacé le commentaire d'Enriqueta. J'écris Enriqueta, parce qu'il me semble bien que c'était elle. Je me souviens du contenu du commentaire et j'y réponds :Lorsque j'ai lu l'énoncé de cet exercice de style, j'ai tout de suite eu une pensée corrélative à ma propre vie. J'ai failli la transposer. J'ai renoncé parce que cela aurait été un épanchement, et non un jeu d'écriture.J'ai cherché dans quel cadre cette haine, ce mépris pourraient être dérangeants. Là où ils ne devraient pas être.Alors j'ai créé ce frère et cette soeur.Qu'ont-ils vécu ? On ne le sait pas vraiment.La perception que chacun d'eux vit de ce passé est à l'opposé. Elle, extravertie, entière, écorchée vive, téméraire... Lui pratiquant avec art la distanciation et le déni.C'est ce déni qui m'intéressait. N'y a-t-il pas plus grande forme de mépris que le déni ? Refuser à quelqu'un de donner réalité à la cause de ses tourments ?Torture mentale ultime du bourreau : nier les actes qui ont tant fait souffrir la victime.Noir, très noir. Exercice fort difficile.
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