Ma Cocotte lâche Sa Douce... Premier voyage
(ill. Ma Douce).
5 h. du matin. Mon téléphone sonne. Non, ce n’est pas lui… Juste l’heure de se lever. J’ouvre les yeux. Lucide. 4 heures de sommeil mais lucide. Allez ! Ce n’est pas un jour comme les autres, non.
Aïe ! Mes tripes se nouent. Douleur vive et passagère. Debout. Dans le couloir, je croise Ma Douce, enchifrenée, ensommeillée. Je respecte toujours son silence matinal. Mais aujourd’hui, ce n’est pas un lundi ordinaire, non. Elle me tend les bras. On se serre très fort en souriant.
« T’inquiète pas, M’man, ça va aller, tu sais.
- Je ne m’inquiète pas, Ma Douce, j’ai confiance. »
Rituel d’une mère et sa fille, toutes deux conscientes de leurs angoisses réciproques, de leur besoin d’être rassurées. Elle cherche ma confiance, je la lui donne. Je cherche la même chose et elle me l’offre.
« Prends la douche en premier, Douce, je vais préparer le p’tit déj.
- D’accord, M’man, léger pour moi, je ne voudrais pas être malade dans le car.
- Va falloir mettre toutes tes affaires dans le salon, qu’on n’oublie rien surtout.
- Hé… Respire, M’man, on n’a pas encore déjeuné !!! »
Elle rit. En préparant le café, les céréales, la compote, le yaourt, le jus de fruit, je me remémore la liste. Je crois bien que c’est bon, nous avons pensé à tout.
Vêtements… Papiers d’identité, autorisation de sortie de territoire… Oui, c’est bon. Hier, nous avons couru partout. Pourtant, j’avais pris de l’avance. Argh… la reine de l’organisation, c’est tout sauf moi, hormis au travail, peut-être.
Nous déjeunons. Les recommandations d’usage, ça, c’est déjà fait aussi. On papote. Quelle chance elle a. Nous parlons de ce qu’elle va voir : Rome, l’éternelle… les collines, le forum et puis Ostie aussi.
« T’aurais bien aimé y aller, hein ?
- Bin, oui, banane. Les musées, les peintures.
- On ne fait pas, ça. Nous, c’est l’antiquité. Faut pas oublier qu’on y va parce qu’on est latinistes.
- Oui, mais j’aurais bien aimé aller voir quelques tableaux si j’allais à Rome… Ouvre bien tes yeux et profite de tout, chérie, c’est vraiment une grande chance que tu as là.
- Oui, M’man, je sais. »
Débarrassage de table, habillage et préparatifs.
Et si on oubliait quelque chose ? Et si on appelait papa ? Il est fort en organisation, papa.
« Bonne idée, poulette. En plus, ça va le rassurer qu’on ait pas loupé l’heure, déjà. »
Mais où est le portable de Ma Douce ? Agacement mutuel. Je fais sonner l’engin mais il est en mode silence. Oh que ça nous agace, ça. Finalement, on le retrouve, là où il ne devrait pas être : sous le lit. Cela nous fait rire. Nous avons en commun la distraction et nos objets se retrouvent souvent là où ils ne devraient pas être. On se serre très fort. Souvent. Je lui souris et elle me bise.
Le papa est appelé. Il doit nous rejoindre tout à l’heure. Il pose quelques questions à sa fille. Il semble qu’on soit nickel.
C’est la première fois que je gère un départ. A part un séjour en classe de mer de trois jours, Ma Douce ne nous a jamais quittés. Et là… Rome… 26 heures de car. Ils annoncent des orages. Les chauffeurs seront-ils sérieux ? Pourvu qu’ils n’aient pas d’accident, que rien ne lui arrive. Stop ! Ne pas penser, ne pas penser. Tout va bien se passer.
5 h. 45. Départ. On retrouve le papa qui arrive de chez lui, ponctuel comme d’habitude. Une seule voiture. En posant le sac de Douce dans le coffre, je me pose une question et comme une sotte, je l’exprime à voix haute. Y a vraiment des matins où je ferais mieux de me taire.
« Y avait pas une étiquette pour le sac de voyage ? »
Ma Douce blanchit. Son père fronce les sourcils.
« Je te l’ai préparée, Douce, je te l’ai donnée, l’étiquette ! »
Douce panique, les mots se heurtent dans sa bouche, ce qu’elle dit devient incompréhensible.
« Hey, respire, Douce, ce n’est qu’une étiquette. Elle est où ? Chez papa ou chez moi ?
- Chez papa, sur mon bureau.
- Pff… Allez vite, on se dépêche d’aller chez moi, heureusement qu’on est à l’heure. Vite. »
Heureusement aussi que le papa habite à deux minutes… Quand ils reviennent, je le vois à leurs visages : pas d’étiquette.
« Allez, ce n’est pas bien grave.
- Au fait, tu m’as apporté le planning ?
- Quel planning ? »
Je panique. De quoi parle-t-il ?
« Celui de Douce en Italie. Je lui ai donné hier, je lui ai dit de faire une photocopie. Enfin, toi. Que tu fasses une photocopie. »
Je croise le regard de douce dans le rétroviseur. Affolée. Elle a aussi oublié de me dire ça. Normalement, je la laisserais assumer son étourderie. Je ne prends jamais partie et je déteste mentir. Mais ce n’est pas un lundi comme les autres. Elle part en Italie une semaine. Son père est déjà énervé à cause de l’heure matutinale, de son angoisse, surtout à cause de son angoisse et aussi à cause de l’étiquette.
« C’est de ma faute, j’ai oublié. »
Ma Douce m’a prise de vitesse.
« Mais vous êtes pas possible ! C’est pas vrai, ça. Je fais des photocopies pour tout le monde et je me retrouve sans rien. En plus y a le numéro de l’hôtel dessus ! »
En temps normal, je lui aurais fait remarqué qu’il n’est pas le seul à s’être « occupé de tout », que je me suis occupée de la carte d’identité, de l’autorisation de sortie de territoire, des photocopies adéquates et aussi, tiens, de la carte européenne de Sécurité Sociale arrivée à l’arrachée avant-hier et que j’ai dû photocopier in extremis. Mais ce n’est pas un lundi ordinaire, non, aujourd’hui, Douce s’en va en Italie.
« Tes parents ont une photocopie, non ?
- Ouais.
- Bin tu passeras chez eux. »
Il grimace. Je sais qu’il pense aussi aux orages, aux accidents, aux chauffeurs irresponsables – si, si, ça existe aussi, y a des cons partout. Alors je me tais.
Arrivés au collège, Douce embrasse quelques ami-e-s et nous saluons quelques parents. Les visages sont souriants mais tendus. On reconnaît de suite ceux pour qui, comme pour nous, c’est la « première fois ».
Nous informons les profs pour l’étiquette. Ce n’est rien. Voilà, pas de quoi fouetter un chat.
A la réunion de préparation, un des profs à l’humour très… euh… drôle en d’autres circonstances, a dit :
« Donc, pas de soucis à se faire pour le voyage, si on a un accident, vous serez prévenus par le JT de la 1. Sinon, c’est que tout va bien. »
A posteriori, nous avons trouvé cela drôle. Le papa, sur le coup, non.
La meilleure amie de douce arrive. Les parents avec. On papote, on se rassure. Leur enfant n’a pas de portable. Je note le numéro des parents. Oui, bien sûr, pas de soucis, je vous appellerai.
L’appel des noms.
Les deux gamines sont happées par le flux. Je n’ai pas eu de bisou. Ma Douce s’en va une semaine et je n’ai pas eu de bisou. J’hésite. J’avance le pied. Si ça la gênait… Elle est grande maintenant, une ado… Oh et puis zut, d’abord. M’en fiche. Je veux mon bisou. Là, elle se retourne et me sourit. On se serre très fort, on s’embrasse et elle me glisse à l’oreille. « On veut être ensemble, toutes les deux, faut pas qu’on se fasse gratter la place qu’on veut dans le car… »
Je souris. Tout va bien, pas d’inquiétude. Tout va bien.
Je souris parce qu’elles veulent être à l’avant. Elles ne risquent pas de se faire voler leur place !!! A leur âge, il aurait fallu me payer une fortune pour être à l’avant. Les meilleures places, les plus chères, celles des stars, elle sont à l’arrière. Ça l’a fait rire, Ma Douce, quand je lui en ai parlé, il y a quelques jours.
« C’est n’importe quoi. On est bien plus malade à l’arrière… et puis, c’est ceux qui parlent le plus fort, à l’arrière. Souvent, ils me cassent les oreilles. »
Elle s’en moque de tout ça, Ma Douce. Ça aussi, ça me rassure. Elle n’a jamais le besoin de prouver quoi que soit à personne… et puis, les Pouilleux massacreurs qui font mal, c’est pas à l’avant auprès des profs que ça se passe. Ça aussi, ça me rassure…
Ça y est. Le car s’en va. Les bisous volent. Les mains s’agitent.
Une semaine.
C’est pas trop long, une semaine. Et puis il y a Loulou… d’ailleurs, faut que je rentre, là, Loulou va bientôt se réveiller. Hier, il m’a dit au creux de l’oreille, tout sourire :
« Tu sais quoi ?
- Non, chéri.
- Je vais vous avoir rien que pour moi tout seul toute la semaine… »