Douter, espérer
Ma Cocotte a un ami très cher, Pierrot, son dictionnaire. De temps en temps, elle l’ouvre et ils papotent.
Douter, espérer
« … Enfin, tu me reviens… Mais… Tu souris ?
- Oui, mon Pierrot. Je souris. Oh oui, je souris…
- Alors là… Quelle surprise ! Toi qui doutais…
DOUTER v.t. ind. (latin dubitare).
1. Être dans l’incertitude de la réalité d’un fait, de l’exactitude d’une déclaration, etc. Douter de l’authenticité d’un texte. Il dit qu’il viendra, mais j’en doute.
- Toi qui te noyais dans l’incertitude, toi qui ne croyais plus ses dires, toi qui pensais ne plus le revoir alors qu’il te l’avait dit… non ?
- C’est vrai. Mais c’est légitime de douter, tu sais. Etre sûr de tout, c’est dangereux, Pierrot. Ça empêche d’évoluer. Douter, c’est remettre en question et se remettre en question. Poser des questions, c’est envisager tous les possibles. Tu sais, Pierrot, je ne doute jamais dans le vide. Lui & moi, c’est comme une pile de galets posés sur le sable. C’est instable, fragile… Un tout petit grain de sable arrive, une toute petite brise et … Patatras ! Les galets s’effondrent… Quel pourcentage de chance avions-nous de nous rencontrer ? Quel pourcentage de risques avons-nous de nous perdre ? Je ne parle pas d’optimisme ni de pessimisme, non. Je tente de raisonner. Car face au doute, qu’avons-nous comme solution, mon Pierrot ? La raison. Nous cumulons quasiment toutes les difficultés : l’éloignement, l’empêchement, l’indisponibilité. Et pourtant, tous les deux, nous savons. L’un sans l’autre, c’est l’enfer. Ensemble, le purgatoire parsemé d’ilots paradisiaques. Ces difficultés, nous les traversons. J’ai failli le perdre, Pierrot, au sens propre comme au sens figuré. D’abord, il a choisi de nous perdre et il en avait le droit. Je ne lui demande pas d’être un surhomme comme je ne serai jamais une femme parfaite. Il est revenu et nous avons surmonté cela. Ensuite, c’est la vie qui a repris ce qu’elle nous avait donné. Il pourrait ne plus être là aujourd’hui. Ça aussi, nous le surmontons. Il avait dit qu’il m’appellerait dès qu’il pourrait. Oui, j’ai douté. Il n’est pas venu au dernier rendez-vous, contre son gré. Oui, j’ai douté aussi. Et c’était tout aussi légitime que son droit au renoncement. Aujourd’hui, je ne doute plus de l’authenticité de notre attachement. Il est mutuel, partagé. Je ne doute plus de son désir. Je ne doute plus de sa joie. J’ai eu si peur, Pierrot. Si peur. Tu vois, si je suis sûre, c’est qu’au son de sa voix… tout s’efface : les difficultés, les peurs, les affres de l’attente…
- Les affres… j’aime quand tu régénères mes mots oubliés…
AFFRES n.f. pl. Litt. Angoisse, tourment, torture. Les affres de la mort, du doute.
Tu ne pouvais mieux dire,… C’est vraiment ça. Maintenant, tu le sais, il tient à toi. Tu n’as plus de raison de douter.
- Douter fait partie des règles de survie, mon Pierrot, au même titre que le plan B. Je ne doute ni de lui ni de son attachement, parce que je sais que nous partageons cela. Ce dont je doute, ce dont je ne peux être sûre, c’est de l’aboutissement de notre histoire. Je voudrais tout, Pierrot, je le voudrais à temps complet. Mais je sais que ce n’est pas possible. Pour l’instant. Mais c’est mon objectif, mon Pierrot. Je voudrais, le plus tard possible, mourir à ses côtés. J’aime être celle que je suis à ses côtés parce que pour la première fois de ma vie, mon Pierrot, je suis moi-même, sans complexe, sans interdit, sans retenue, sans jouer de rôle.
¤ A n’en pas douter : sans aucun doute ; assurément.
- A n’en pas douter, il t’apporte énormément… et toi, que lui apportes-tu ? Pourquoi aime-t-il tant être avec toi ?
[Temps de réflexion] – Quelle question ardue… Je… je l’équilibre, je lui donne confiance, je le complète, je le fais sourire, rire. Oui, je lui donne. Tout simplement, sans exiger en retour. Il sait que je suis là et qu’il peut compter sur moi. Il sait que je n’exige ni n’impose rien. Le partage. Oui. Ce mot si important pour moi. Un jour, il faudra que l’on en parle. C’est ma seule exigence : partager. Je ne veux pas d’une relation fusionnelle, non. Je ne veux pas me perdre en lui. Je veux rester moi-même comme je le suis avec lui mais partager… une osmose ? C’est ça ? Tu peux me donner les définitions de fusion et d’osmose, pour voir ?
- Bien sûr, voilà… écoute :
FUSION n.f. (latin fusio) […] 2. Fig. Réunion, combinaison étroite de deux éléments, de deux groupes. Fusion de deux partis.
OSMOSE n.f. (grec ôsmos, poussée) […] 2. Fig. Influence réciproque ; interpénétration. Osmose entre deux civilisations voisines.
[Rire] – Oui… Osmose… réciproque… interpénétration… ça me va, oh oui, ça me va très bien. C’est ainsi que je souhaite que cela soit. Deux entités individuelles en interaction… échange, partage, réciprocité, complémentarité… Sans aucun doute, c’est ce que je souhaite, mon Pierrot. Mais tu sais, jamais je ne cesserai de douter, mais toujours dans l’idée d’agir au mieux pour améliorer l’existant. Pas pour être parfaite, non. Mais pour que chaque jour soit différent, riche et empli, même si c’est de vide ou d’absence.
2. Ne pas avoir confiance en. Je doute de sa bonne foi, de sa sincérité.
- Au fur et à mesure que les doutes s’estompent, tu reprends confiance en toi, en lui, en vous… Tu sais qu’il est sincère, n’est-ce pas ? Ne l’oublie pas.
- Je n’oublie pas, mon Pierrot. Encore une fois, ces dernières épreuves me donnent grande confiance. En lui. En nous. En moi. Oui. Mais pas en la vie. Tu sais, je traîne toujours ce fâcheux sentiment de payer pour une faute que je n’ai pas commise. Une espèce de faute originelle, générationnelle… je le combats, ce sentiment. Mais tout de même… nous accumulons. A chaque fois, c’est plus difficile. Et quand l’épreuve est traversée et que nous nous retrouvons, c’est toujours avec la même joie intense, oui, cette intensité qui fait que tout s’envole : chagrin, peurs, angoisse, doutes. Il n’y a plus que nous deux. J’ai confiance en lui, oui. Je doute des circonstances.
3. Ne douter de rien : n’hésiter devant aucun obstacle, avoir une audace aveugle.
- C’est si étonnant… tu fais preuve de tant de courage, tu affrontes les obstacles avec ténacité. A chaque nouvelle épreuve, tu souffres, certes, tu doutes mais toujours avec l’idée qu’il y a une chance. Tu doutes mais même avec la peur au ventre, tu avances, comme si tu avais une foi aveugle en votre avenir.
- C’est ce que je veux, je te l’ai dit, Pierrot. Je le sens, je le sais. Ce n’est pas une amitié amoureuse, ce n’est pas une passion dévastatrice, non, rien de cela. C’est une complicité, une intimité entre nous qui fait de chaque instant un moment de bonheur. C’est ce désir d’être ensemble. C’est surtout, oui, c’est surtout ce bien-être, cet apaisement, ce naturel quand on est ensemble. Tout est facile, ensemble. Et lui aussi, il est courageux. C’est encore plus difficile pour lui de continuer. Sa vie est déjà si dure, je la lui complique à l’envi. Et toujours il vient vers moi. Tout ce qu’il me donne, il sait que c’est précieux pour moi, que ça compte. Il adore me faire des surprises parce que ça m’émotionne, ses surprises, tu vois… Je le lui dis. J’en redemande. Les obstacles, ils sont là, entre nous, comme un mur. Alors tous les deux, on le grimpe, ce mur, chacun de notre côté et quand, au faîte du mur, on se retrouve, il faut tenir, empêcher les doigts de lâcher, trouver les prises pour tenir l’équilibre. Même là c’est difficile mais si délicieux.
¤ Se douter v. pr. (de). Avoir le pressentiment de, s’attendre à ; soupçonner.
- Ah… les surprises… ça, c’est une preuve d’amour, oui… Tu crois qu’il s’attend à celle que tu lui prépares ?
- Peut-être… Mais pas au contenu de la surprise, non. Ça, il ne peut pas se douter. Il doit bien penser que je n’oublierai pas ce jour-là, c’est sûr. Chut… Je dois tenir ma langue. Je ne dois rien dire. C’est difficile. Tu sais, je suis si certaine que ma surprise va le rendre heureux. De ce pur bonheur qui fait que l’on sourit avec le cœur. J’ai hâte d’être à lundi. Oh que oui, j’ai si hâte. Je vais l’entendre dans sa voix, au téléphone, dans ses intonations. J’aurais tant voulu être là pour le voir.
ESPERER v.t. (latin sperare).
Considérer ce qu’on désire comme capable de se réaliser ; attendre avec confiance. Espérer une récompense. J’espère que vous réussirez.
- Tes yeux brillent, toi aussi, tu es comme une enfant, là… tu te réjouis, tu espères… tu crois vraiment que ce que tu souhaites est réalisable, qu’un jour vous pourrez vivre au quotidien ?
- C’est mon souhait le plus cher, le plus entier, le plus sincère, le plus vrai que j’ai jamais fait, sans restriction aucune, avec toutes nos différences, malgré toutes nos difficultés. Je veux y croire. Je veux mourir à ses côtés, le plus tard possible. Je veux vivre avec lui. Oh… ce ne sera pas facile tous les jours, je le sais bien. Nos deux caractères s’affronteront. J’en suis sûre mais ça ne me fait pas peur. J’ai confiance en nous, oui. J’ai vraiment confiance et j’espère, oui, j’espère. Et tu sais, mon Pierrot, le mot « attendre » ne me fait plus peur… Tu vois, parmi ces épreuves, il y a l’attente. A chaque fois, il était là au bout du tunnel. J’étais là aussi. Avec le même désir, la même souffrance. Après… tout dépendra des épreuves à venir.
¤ On ne l’espérait plus : on ne l’attendait plus, en parlant de quelqu’un qui est très en retard.
- Tu ne l’attendais plus, non ? Avoue ! J’ai lu tous tes écrits et je te connais assez pour faire la part des choses.
- Pff… Taratata chapeau pointu turlututu ! Tu ne sais rien, Pierrot. Tu n’es pas en moi. Certains de mes écrits ne peuvent qu’être noirs. Si tu fais référence au « Journal d’une maîtresse », ça ne vaut pas. Ça vaudrait si je l’avais intitulé « Journal d’une aimante ». Je ne me considère pas comme sa maîtresse. Non. Mais tout ce que l’inconscient collectif rattache à ce mot, aux regards des carcans sociétaux actuels, tout ça on me l’imposerait si j’en parlais. Et je l’ai fait. J’en ai parlé à ma bande d’amies, enfin… d’ex-amies pour certaines. Les regards, les jugements, les assertions à deux balles, tout ça est terrible. La majorité des hommes et des femmes ont des idées reçues, des chemins tout tracés, des quotidiens programmés pour des années… Je réalise que pour la majorité, l’amour rime avec possession. Beurk. Il ne t’ « appartient » pas. Tu es une « voleuse » de mari, une briseuse de ménage. Pff… primaire, réactionnaire, matérialiste. Comme si le sentiment amoureux dépendait d’une signature au bas d’un acte de mariage. Illusion. Sécurisation. Partisan du moindre effort. Personne ne trompe personne. Un homme ou une femme qui va voir ailleurs cherche l’affection et la reconnaissance. La seule sécurité matérielle ne suffit pas à l’être humain pour être heureux, non. La seule reconnaissance sociale ne suffit pas non plus comme ne suffit pas non plus le seul sentiment amoureux. Il faut un peu des trois, plus ou moins, équilibrer tout ça. Si notre histoire existe, c’est bien que sa vie n’était pas satisfaisante… Ce n’est la faute de personne. Je ne l’ai pas choisi dans un catalogue de célibataires. Un jour, j’étais là et lui aussi. C’est tout simple. C’est ainsi. Et puis c’est tout. Tu sais Pierrot, c’est cette rencontre que je n’espérais plus. J’avais fait en sorte que ma vie soit satisfaisante : reconnaissance sociale, amour de mes enfants et sécurité matérielle compensait l’absence de sentiments amoureux… Le choix était fait : plutôt seule librement que seule et mal accompagnée par obligation maritale. Cette rencontre est arrivée. Je ne l’espérais plus. J’y crois, oui. Je veux y croire.
¤ V.t. ind. (en). Mettre sa confiance en. Espérer en Dieu.
- Si tu crois en Dieu, c’est le moment de faire une prière, alors.
- Une prière ? Non, mon Pierrot : ni Dieu, ni maître… tu as oublié ? [Sourire]. Je sais gérer mes frustrations, ne t’en fais pas. Je n’oublie jamais que ce droit au renoncement dont je te parlais est légitime pour nous deux. Tu sais, s’il y a une chose dont je suis consciente, Pierrot, c’est de la brièveté de la vie, de sa valeur. Tous les bons moments que je vis sont des « bonus », des plus… Je ne me plains pas. Ils sont intenses. Ils sont précieux. Je râle, oui. Je me mets en colère. Mais toujours je suis là pour lui. Et le serai. J’ai choisi, Pierrot. J’ai le droit de douter, de pleurer, d’espérer, de souffrir, d’être heureuse… Tout est lié. Il a les mêmes droits. Je souhaite, j’espère mais je n’exige pas, je ne réclame pas. Mais bazar de bazar, Pierrot, qu’est-ce que j’espère… [Rire].